L’International Tracing Service et les Archives de Bad Arolsen

Entrée de l’ITS © Arolsen Archives

Bref historique

Dès 1943, la Croix-Rouge britannique coordonne les premiers efforts pour retrouver les personnes disparues dans les territoires nouvellement libérés par les Alliés.
L’entreprise est reprise en 1944 par les autorités militaires alliées elles-mêmes ; un Bureau central de Recherches est créé, tandis que se multiplient les initiatives de la part des organismes humanitaires. Si l’on s’en tient à l’exemple des Juifs, le Congrès juif mondial ainsi que le Jewish Joint Distribution Committee ou le Comité central des Juifs de Pologne tentent de dresser systématiquement des listes des survivants et de faciliter la localisation des proches. S’adjoignent à ces initiatives des bureaux nationaux crées par les États dont les ressortissants, civils, résistants ou déportés, ont été dispersés par la guerre

Le service de recherches s’installe en 1948 à Bad Arolsen, au cœur des zones d’occupation occidentales et de la future République fédérale allemande, et est rebaptisé Service international de Recherches (plus généralement connu sous ses initiales en anglais, ITS, pour International Tracing Service). Le service est placé à partir de 1955 sous la tutelle neutre du Comité international de la Croix-Rouge, avant de passer, en 2012, sous celle des archives allemandes.


Les archives de l’ITS

 

Afin de fournir aux familles le plus d’éléments possibles et de retracer le parcours des disparus, les archives de l’ITS ont rassemblé à Bad Arolsen deux massifs archivistiques qui couvrent deux séquences distinctes. Le premier a trait aux persécutions nazies et concerne la période de la guerre ; le second retrace les importantes migrations et les rapatriements qui se déployèrent à travers toute l’Europe, de la Libération au début des années 1950.
D’une part, l’ITS a récupéré, au sortir de la guerre, beaucoup d’archives liées aux persécutions nazies entendues dans leur sens le plus large possible : listes de convois de déportés, registres de prisonniers des camps de concentrations, des prisons et autres lieux d’internement, fiches individuelles de prisonniers à leur entrée ou à leur transfert, listes de malades des hôpitaux des camps, listes de victimes, recensement des lieux d’exécution et des fosses communes, groupes pris dans les marches de la mort, etc. La nature de ces archives est extrêmement diverse et elles fournissent des détails variables sur les individus concernés. La documentation couvre surtout les territoires incorporés ou occupés par le IIIe Reich et dans une moindre mesure ses États alliés ; les matériaux sont aussi très inégaux d’un lieu à l’autre, en raison d’importants manques, souvent dus à la destruction massive des traces et des documents par les nazis eux-mêmes.

ITS, Bad Arolsen, Dossiers des camps, Auschwitz © Arolsen Archives
ITS, Carte individuelle DPs, Dora Cingel © Arolsen Archives

D’autre part, l’ITS conserve d’importantes archives produites en Europe occidentale par les instances chargées d’encadrer, administrer et orienter les populations déplacées par la guerre.
Après sa création en 1947, l’Organisation internationale pour les Réfugiés (OIR), à la suite de l’Administration des Nations unies pour le Secours et la Reconstruction (ou en anglais UNRRA), entame un vaste enregistrement et contrôle rétrospectif des populations déplacées en Europe qui sollicitent son aide. Cette demande d’inscription dans le programme « Care and Maintenance » (C/M) engendre la création de milliers de dossiers familiaux où les déplacés sont sommés de renseigner leur état-civil, leurs origines sociales et leur trajectoire depuis les années 1930, ainsi que leurs projets de migration future. Là où l’UNRRA parait au plus pressé et encadrait de larges groupes, pour l’essentiel en Allemagne, l’OIR administrait des familles et des individus à travers l’Europe et le monde entier. L’enregistrement systématique de ceux que les organisations internationales ont protégé sous le qualificatif de « personnes déplacées » (displaced persons, DPs) a produit de nombreux autres documents, en particulier des cartes individuelles portant le nom, la date de naissance, une brève description et parfois une photographie. À cette carte, que le porteur se devait de conserver perpétuellement sur lui à l’instar d’un document d’identité, s’ajoutent des cartes d’enregistrement dans chaque camp de personnes déplacées. Celles-ci portent des informations supplémentaires, notamment le groupe avec lequel l’intéressé voyage, ainsi que la destination d’émigration alléguée et qui varie à mesure des différents points d’enregistrement.


Comment faire ses recherches dans les archives de l’ITS ?

 

Les archives de l’ITS ont été pensées d’emblée afin de faciliter la recherche d’individus.
Le service avait et a toujours pour vocation d’aider les familles à retrouver leurs proches. Une section est tout particulièrement dédiée aux enfants qui ont pu être arrachés à leurs parents ou perdus au cours du conflit et que l’ITS s’est fait une priorité d’aider et recenser. Dès 1953, les archives du Service international de Recherche ont répondu aux millions de requêtes qui leur étaient envoyées du monde entier et dont elles ont systématiquement gardé la trace. L’emblème du service de recherche est ainsi son immense cartothèque qui renvoie à chacun des 17 millions d’individus mentionnés dans ses archives. Si le service est resté ouvert aux demandes personnelles, les archives sont demeurées largement fermées aux chercheurs jusqu’en 2007. Cette ouverture progressive s’est accompagnée d’une grande campagne de numérisation des archives de l’ITS. Elles sont depuis 2019 accessibles partiellement en ligne par tous et presque entièrement à partir d’un terminal spécifique dans les centres d’archives dédiés (Archives Nationales à Pierrefitte-sur-Seine, Wiener Holocaust Library à Londres, USHMM à Washington) ; seuls les documents relatifs au fonctionnement interne et quotidien de l’institution ont été négligés. L’ITS a, à cette occasion, changé de nom pour devenir les Arolsen Archives – International Center on Nazi Persecution –, témoignant de ses nouvelles missions et de son ouverture, sans pour autant altérer sa structure.

ITS, Bad Arolsen, Fichier central des noms, photographie © Michael Probst/AP

Le site internet des archives reflète la mission préalable de l’ITS, orientée vers la recherche d’individus spécifiques. L’entreprise de numérisation des archives de l’ITS permet un accès rapide à de nombreux documents. Seule la recherche par nom s’avère systématiquement efficace. Des recherches par critères géographiques, ethniques ou religieux sont aussi possibles. Mais ces critères ne s’appliquent pas à l’ensemble des fonds et leur croisement ne peut donc donner qu’un aperçu des populations recherchées, sans garantir des résultats exhaustifs.
Les Archives d’Arolsen permettent de saisir au plus près les conséquences de la violence nazie, lieu par lieu, individu par individu, et de suivre ensuite les trajectoires des personnes déplacées pas à pas en Europe. Les millions de dossiers à présent accessibles permettent de préciser la géographie et la temporalité des persécutions et des migrations d’après-guerre. Les millions de noms, de visages et de trajectoires que ces documents contiennent demeurent encore largement à dévoiler.


Pour aller plus loin

Arolsen Archives, International Center on Nazi Persecution

Diane Afoumado, « Archives – La collection de l’International Tracing Service », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, n° 139, 3/2018, p. 221-230

Suzanne Brown-Fleming, Nazi Persecution and Postwar Repercussions. The International Tracing Service Archive and Holocaust Research, Lanham, Rowman & Littlefield, 2016

Jean-Marc Dreyfus, « À Bad Arolsen, dans la forêt des archives nazies », La Vie des idées, 11 septembre 2008

Monique Leblois-Péchon, « Les recherches sur les personnes déplacées dans les archives du Service international de recherches de Bad Arolsen », dans Corine Defrance, Juliette Denis et Julia Maspero, Personnes déplacées et guerre froide en Allemagne occupée, Bruxelles, Peter Lang, 2015, p. 369-381